C'est pas gagné
Un gros pas en arrière au Sénat. Nouvelle loi "numérique". L'appel de Kate Winslet. Les contrôles toujours insuffisants. Stop à l'influence bashing.
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TLDR ;)
Le passage au Sénat de la loi “influenceurs” a malheureusement fait naître des zones d’ombres, notamment sur les définitions d’influence commerciale et d’agents
De nombreuses améliorations du texte sont encore nécessaires d’ici sa validation finale à l’Assemblée, et il faut espérer que nos élus sauront entendre les retours des professionnels du secteur afin de rendre la loi réellement applicable (on y croit !)
La nouvelle loi “numérique” en préparation s’est inspirée en partie du projet de loi “Influence” (!), et si elle peut paraitre un peu “fourre-tout” elle intègre des réflexions primordiales qui devraient mieux protéger les plus jeunes mais aussi la démocratie (on y croit aussi !)
Kate Winslet, lors de son discours aux BAFTA, nous a fait d’ailleurs une très belle piqûre de rappel sur les enjeux d’un numérique plus “responsable” : “we want our children back !”
60% des “influenceurs” contrôlés par la DGCCRF en infraction (30 sur 50) … attention à l’interprétation de ces chiffres qui ne sont absolument pas représentatifs des pratiques du marché.
Les medias se focalisent beaucoup actuellement sur les “dangers” des réseaux sociaux et du marketing d’influence, mais attention à ne pas jeter le bébé avec l’eau du bain ! Parlons aussi de tout ce qui nous enthousiasme et des belles initiatives.
La loi “influenceurs” au Sénat : un pas en arrière :-(
La loi visant à “encadrer l'influence commerciale et à lutter contre les dérives des influenceurs sur les réseaux sociaux”, que l’on appelle déjà la loi Delaporte / Vojetta (du nom des 2 députés qui ont porté le projet) était dans les mains du Sénat depuis son adoption à l’Assemblée Nationale le 30 mars dernier (voir le projet voté à l’AN ici).
La Sénatrice Amel GACQUERRE, nommée rapporteure, a mené de nombreuses auditions (dont celle de Magali Berdah - intégralité de la vidéo ici), et une 50aine d’amendements ont été déposés. La loi donc été votée au Sénat début Mai.
Comme à l’Assemblée Nationale on voit qu’un énorme travail de pédagogie est encore nécessaire auprès des élus pour faire comprendre le secteur l’Influence Marketing (et pas sûr que Magali Berdah ait été la plus pertinente dans cet exercice).
Cette nouvelle version du projet de loi (voir le projet voté au Sénat ici) a renforcé les règles (mention “publicité” obligatoire, nouvelles interdictions sectorielles) mais également créé beaucoup de flou.
1 - La définition d’influence commerciale a été modifiée en ajoutant du flou (sur le seeding), et en faisant un pas en arrière sur la liberté d’expression par rapport aux tables rondes de Bercy et à l’Assemblée Nationale (notamment concernant les journalistes)
Voici le texte initial (30/03/2023) :
Les personnes physiques ou morales qui mobilisent leur notoriété auprès de leur audience pour communiquer au public par voie électronique des contenus visant à faire la promotion, directement ou indirectement, de biens, de services ou d’une cause quelconque en contrepartie d’un bénéfice économique ou d’un avantage en nature exercent l’activité d’influence commerciale par voie électronique.
Et voici le nouveau texte (9/05/2023):
Les personnes physiques ou morales qui, à titre onéreux, communiquent au public par voie électronique des contenus visant à faire la promotion, directement ou indirectement, de biens, de services ou d’une cause quelconque exercent l’activité d’influence commerciale par voie électronique.
Dans la nouvelle version, la notion “à titre onéreux” ne précise pas comment considérer l’envoie de produits gratuits (appelé également “seeding” ou “gifting”). Il semble que la définition juridique de l’expression “à titre onéreux” intègre la notion de “contre-partie”, mais il faut avouer que cela est peu évident. Contrairement à la version de l’Assemblée Nationale, cela rend floue la notion de “contre-partie” défendue par l’ARPP et ses membres depuis des années pour définir ce qu’est l’influence commerciale et les contraintes associées (notamment la mention explicite du partenariat).
Mais le plus grand malaise vient du fait que cette nouvelle version intègre désormais dans “l’influence commerciale” tous les utilisateurs privés, critiques, élus, ou encore journalistes qui ne feraient qu’exprimer leur opinion dans le cadre de leur travail, et qui devraient ainsi mentionner obligatoirement un “partenariat” (qui n’existe pas). Un point critique soulevé notamment par le Syndicat du Conseil en Relations Publics - SCRP (plus de détail ici).
2- La définition d’agent n’a toujours pas été modifiée, et englobe un grand nombre d’acteurs (agences, solutions technologiques, etc.) dont le métier est totalement éloigné de celui d’agent
La définition d’agent dans le projet de loi :
L’activité d’agent d’influenceur consiste à représenter ou à mettre en relation, à titre onéreux, les personnes physiques ou morales exerçant l’activité d’influence commerciale par voie électronique définie à l’article 1er avec des personnes physiques ou morales et, le cas échéant, leurs mandataires, dans le but de promouvoir, à titre onéreux, des biens, des services ou une cause quelconque.
Dans cette définition, les intermédiaires rémunérés par un donneur d’ordre (pas spécifiquement pour l’intermédiation), comme une agence créative, ou encore comme une solution technologiques d’influence (Kolsquare, mais aussi toutes les solutions d’affiliation par exemple) sont considérés comme des “agents”. Tous ces acteurs devront appliquer les règles associées définies dans la loi (contrats, représentation Européenne, etc.).
Pour corriger cela, il suffirait de supprimer l’expression “ou à mettre en relation”. Pas si simple apparemment.
Nous passerons les nombreux débats sur les interdictions sectorielles, qui sont des débats nécessaire, mais qui créent potentiellement des “ruptures d’égalités” pour certains secteurs à qui l’on interdirait l’influence commerciale mais pas les autres solutions de publicité…
Le projet de loi est désormais dans les mains d’une Commission Mixte Parlementaire qui se réunira jeudi 25 mai 2023 et qui aura à charge de présenter un projet final pour son adoption définitif à l’Assemblée. A suivre !
Une nouvelle loi pour un “numérique” plus responsable ?
Au delà de l’influence commerciale, comment protéger le grand public des dangers d’Internet et des réseaux sociaux ? Cyber-harcèlement, addiction, contenus pornographiques, désinformation, monopoles des GAFAM, … la liste est longue, et les chantiers pour nous mener vers un numérique plus responsable sont conséquents.
Comme pour l’influence, de nombreuses lois existent déjà, mais un nouveau projet de loi “numérique” a récemment été annoncé par Elisabeth Borne afin de clarifier le cadre existant. Il devrait être présenté fin Mai 2023 à l’Assemblée Nationale.
Ce projet intègre de nombreuses réflexions, les nouvelles réglementations Européennes bien sûr (DSA et DMA)… mais aussi celles du projet de loi “influenceurs” !
La loi “numérique” s’articulerait donc autour de 4 axes :
protéger les Français : filtre « anti-arnaque » (SMS, mails,…) exclure les cyberharceleurs des réseaux sociaux, encadrement des jeux en ligne, …
protéger les plus jeunes : exposition des enfants au porno, sanction des hébergeurs ne retirant pas les contenus signalés, interdire la publicité ciblée sur les mineurs, …
protéger les entreprises et collectivités : interdir aux GAFAM de privilégier leurs services, réduire la dépendance aux fournisseurs de cloud, réguler les meublés de tourisme
protéger la démocratie : interrompre les médias étrangers frappés par des sanctions internationales, lutter contre la désinformation sur les réseaux sociaux
Si le “numérique” et les réseaux sociaux sont une formidable opportunité pour notre société, les limites sont nombreuses, bien réelles, et nous sommes toutes/tous concerné(e)s dans nos quotidiens personnels et professionnels.
D’un côté le sujet est tellement large que ce projet de loi fait un peu “fourre-tout” (dimension “AirBnB” / collectivités en décalage par rapport aux autres sujets selon moi, et pas du même niveau que la protection des plus jeunes ou la désinformation)
Mais d’un autre côté ces réflexions sont indispensables, et j’espère qu’elles aboutiront à une prise de conscience plus forte, ainsi qu’à des actions concrètes (notamment applications de la loi et de sanctions).
Une loi, comme pour l’influence commerciale, aura au moins le mérite de clarifier les règles et d’en permettre une meilleure application.
Il ne faudra pas pour autant sombrer dans “l’anti-numérique.”
Et le plus important restera toujours la sensibilisation, la pédagogie (notamment auprès des plus jeunes), et les actions concrètes sur le terrain que mènent des associations comme Génération Numérique (lutte contre les risques du numérique) ou Marion la Main Tendue (lutte contre le harcèlement).
Kate Winslet : “we want our children back!”
Dans la continuité, je vous incite à écouter le discours (poignant) de Kate Winslet aux BAFTA (les Oscars britanniques) cette année, s’adressant “aux parents qui n’arrivent plus à communiquer avec leurs adolescents” mais aussi “aux jeunes qui sont devenus addicts aux réseaux sociaux et à leurs côtés sombres”, appelant “ceux qui ont du pouvoir, et ceux qui peuvent changer les choses” à “criminaliser les contenus nuisibles”, et à les “éradiquer”. Mais aussi incitant les plus jeunes à se faire aider.
“We want our children back” ! (“Nous voulons retrouver nos enfants”)
Les contrôles s’intensifient mais sont insuffisants
Le Ministre Bruno Le Maire a annoncé début Mai que les contrôles menés par la DGCCRF auprès des influenceurs s’étaient intensifiés. 50 influenceurs auraient été contrôlés depuis le début de l’année (quasiment autant que les 60 contrôles annoncés en 2022, ce qui est une belle accélération), et 30 seraient dans l’illégalité (principalement absence de mention de la relation commerciale #sponsorisé).
Il semble que les noms des influenceurs en infractions seront publiés en ligne, sur le principe du “name & shame”. On change de braquet. Cette méthode pourrait être discutable selon la gravité ou la temporalité de l’infraction (si par exemple il s’agissait d’un “simple” oubli de mention il y a quelques années), mais elle aura le mérite de sensibiliser tous les autres KOLs, leurs agents, les annonceurs et les agences. Et probablement de faire bouger les pratiques plus rapidement.
30 / 50 = 60%… ça fait beaucoup, et on imagine déjà les medias largement diffuser le fait que 60% des influenceurs ne respectent pas les règles, que l’influencer marketing est un far west, etc. Comme ils l’avaient fait maladroitement début 2023 (voir ici).
Mais il ne faudra pas oublier de préciser que les 50 influenceurs contrôlés ne sont absolument pas représentatifs du marché, qu’ils ont probablement été signalés (dénoncés), et donc que ces 60% d’infractions ne veulent rien dire sur les pratiques des KOLs.
50 influenceurs en 4 mois c’est bien (c’est mieux), mais c’est peu si on parle de 150,000 influenceurs en France.
Tous les acteurs du marché attendent impatiemment que la DGCCRF se donne (enfin) les moyens de contrôler plus d’influenceurs, qu’elle mette fin aux quelques excès qui ternissent l’image de notre secteur, et qu’elle protège encore mieux les consommateurs.
Attention à l’influence bashing
“L’influence bashing” est à la mode actuellement, et les medias se focalisent beaucoup sur les “dangers” des réseaux sociaux et du marketing d’influence. Une forme de relation amour-haine.
Et encore, je n’ai pas mentionné dans cette Newsletter d’autres actualités : interdictions touchant TikTok, amendes records des GAFAM sur l’utilisation de données personnelles, débats sur l’impact carbone de Coachella et autres voyages d’influenceurs dans les îles, …
Mais attention à ne pas jeter le bébé avec l’eau du bain !
Les réseaux sociaux sont encore très récents, le secteur du marketing d’influence encore plus. Tout est en structuration, une phase normale à ce stade de maturité. Les choses pourraient/devraient aller plus vite, mais elles vont dans la bonne direction.
Et ces “limites” ne doivent pas occulter ce qui nous enthousiasme ainsi que toutes les formidables initiatives positives du secteur… dont j’essaierai de parler plus en détail dans une prochaine publication ! :-)
J’espère que cette newsletter vous a plu.
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